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Léon Pourtau


Marie-Eulalie à sa toilette


1890
Huile sur toile
150 x 89 cm
Signée en haut à gauche : « L. Pourtau »


1_Georges Seurat (1859-1891)
Jeune Femme se poudrant, 1890
Courtauld Gallery, Londres.

2_Détail de l’œuvre.

Lorsque Léon Pourtau et Marie-Eulalie Vallad se marient le 23 octobre 1890, la jeune épouse fait sienne le mode de vie bohème du peintre musicien. Le jeune couple s'installe au 13 de la rue Ravignan, en plein cœur de Montmartre. L'ambiance qui règne dans ce quartier de Paris est propice à la créativité de nombreux artistes et permet au jeune marié de libérer son talent de peintre. Quand il revient le soir des répétitions de l'orchestre Colonne au théâtre du Châtelet où il est clarinettiste, son désir le plus ardent est de peindre. Aussi est-ce avec la fougue d'un heureux époux et une passion artistique prégnante qu'il réalise le portrait de Marie-Eulalie à sa toilette.

Si le thème de la toilette a été diversement traité par les néo-impressionnistes, dont Henri- Edmond Cross, Camille Pissarro et Maximilien Luce, c'est bien dans Jeune femme se poudrant (1888-1890) de Georges Seurat 1, que la technique du contraste simultané semble la plus aboutie. Mais c'est sans compter le talent précoce de Léon Pourtau, qui à vingt-deux ans, par la réalisation de Marie-Eulalie à sa toilette, bouscule l'ordre de préséance jusqu'alors établi dans le monde des néo-impressionnistes. Car en effet, ce chef d’œuvre de Pourtau est un modèle du genre. La maîtrise technique du jeune artiste, ainsi que son audace picturale, le placent au niveau des plus grands représentants de la nouvelle école.

Marie-Eulalie se farde profitant d'un rayon de lumière qui s'échappe d'un rideau mal tiré. La blancheur de son visage s'accorde aux tons immaculés de son chemisier, tandis que sa jupe aux couleurs écarlates rappelle outrageusement la légère marque de rouge à lèvre qu'elle s'est appliquée.

Sur la table qui se trouve derrière elle, une nature morte digne des plus grands peintres du siècle d'or hollandais, confirme ce contraste de couleurs qui positionne judicieusement la scène dans l'espace. Le parquet, par la régularité de sa touche, confirme la verticalité du moment, conférant à l'épouse une majestueuse omniprésence. Sur le papier peint du mur du fond, on peut apercevoir le petit miroir de courtoisie qu'elle tient en main en guise de motif. Le regard du spectateur est ainsi guidé vers le haut de la toile, attiré par le miroir qui y est suspendu à gauche et qui est accolé à la signature de l’artiste. 2

Ce miroir mural est l'occasion pour le peintre de réaliser une scène en abyme digne, elle aussi, des plus grands peintres hollandais ou bien encore espagnols. Léon Pourtau, par sa présence sur la toile, veut ainsi montrer au spectateur, le bonheur qui est le sien, mais aussi s'affirmer aux yeux de ses collègues peintres. Dans Jeune femme se poudrant, Seurat avait lui aussi réalisé une scène en abyme où l'on pouvait admirer son visage barbu dans la mîme configuration que dans Marie-Eulalie à sa toilette. D'après les dernières études réalisées concernant le tableau de Seurat, il semble bien que le maître du néo-impressionnisme, ait décidé au dernier moment de supprimer cette scène et d'y substituer un bouquet de fleurs. Les deux tableaux sont chronologiquement inscrits dans la mîme période, mais il apparaît que Léon Pourtau soit en l'occurrence plus innovant que son éminent confrère, timoré par des considérations bourgeoises dommageables au génie qui fut le sien. Après le décès de Léon Pourtau, Marie-Eulalie à sa toilette fut reléguée durant une centaine d'années dans une grange, et ce n'est qu'en 1990 qu'un amateur éclairé l’a sortie de l'oubli. Gilles Caillaud